Méga-constellations de satellites : grandes opportunités et grandes inquiétudes
— Actualités du 6 juin 2019 —
Ces derniers mois, une fusée Soyouz et une Falcon 9 ont mis en orbite les premiers satellites de deux immenses constellations, OneWeb et Starlink qui font la course pour mettre en place des services d’internet par satellite. Ils seront bientôt rejoints par Amazon et peut-être d’autres entreprises. Ensemble, ces constellations pourrait regrouper jusqu’à 18 000 satellites. C’est plus de dix fois le nombre de satellites actuellement en activité et deux fois plus que le nombre de satellites lancés depuis Spoutnik.
Les investissements sont énormes, le chiffre d’affaires potentiel aussi
Une telle ambition nécessite un effort considérable. SpaceX estime que la mise en place de leur service leur coûtera 10 milliards de dollars. OneWeb a déjà levé 3 milliards auprès de grandes entreprises de télécommunications. Ces énormes investissements sont justifiés par le bénéfice que ces entreprises espèrent en tirer.
En créant un véritable internet mondial, ces entreprises espèrent toucher les plus de 3 milliards de personnes qui n’ont pas encore accès à internet. Même en ne facturant le service que quelques euros par mois, cela générera des chiffres d’affaires incroyables. SpaceX veut utiliser ce chiffre d’affaires pour rendre concrète la colonisation de la planète Mars. La bataille technologique et commerciale qui vient de démarrer pourrait donc avoir des répercussions bien au-delà de la planète bleue.
Les méga-constellations de satellites amèneront enfin internet partout sur la Terre
L’internet par satellite existe déjà depuis des années. Si vous vous équipez d’une parabole et d’un forfait adéquat, un satellite en orbite géostationnaire vous allouera un peu de bande passante. Ces forfaits sont souvent plafonnés et perçus comme des solution de dernier recours. Si ni la fibre ni l’ADSL n’est disponible dans votre région, vous pouvez tenter votre chance avec cette méthode. En France, vous serez probablement desservi par un satellite de la constellation Eutelsat ou ASTRA, quel que soit votre opérateur. Préparez-vous cependant à de grosses factures, à une latence élevée et un service pas toujours très stable. Les satellites qui alimentent ces offres ont d’autres services à fournir. Ils réservent la plus grosse partie de leur bande passante à la télévision par satellite et à une multitude d’autres services.
Les constellations de SpaceX et de OneWeb ont été conçues avec l’internet comme usage primaire, ce qui implique des satellites, des orbites et des moyens de communication complètement différents. Ces satellites ne sont pas placés en orbite géostationnaire et on abandonne l’idée d’un seul satellite de plusieurs tonnes qui alimente un continent entier. Ces nouvelles constellations de satellites font le choix de déployer un très grand nombre de petits satellites placés en orbite basse.
Leur nombre doit permettre d’offrir à un large public un débit élevé à tout moment. Ils sont prévus pour opérer entre 500 km et 1500 km d’altitude, ce qui divise le temps d’accès par 70 par rapport à un satellite en orbite géostationnaire. Cela ne peut pas rivaliser avec la fibre en terme de latence, mais c’est tout de même un énorme progrès.
Avec 12 000 satellites, Starlink sera la plus grosse méga-constellation de satellites
SpaceX va plus loin que tous ses concurrents en demandant des autorisations de lancement pour 12 000 satellites destinés à intégrer la constellation Starlink. C’est aussi SpaceX qui fait le plus de lancements. Un seul tir de fusée Falcon 9 a pu mettre en orbite 60 satellites le 24 mai 2019. A ce rythme, le service pourrait commencer à être commercialisé après seulement six autres tirs.
Malgré leur petite taille, les satellites imaginé pour Starlink sont des bijoux technologiques. Ils pèsent 227 kg, sont plats et dotés d’un unique panneau solaire. Sur l’autre face sont fixées leurs quatre antennes de communication. Les premiers exemplaires utilisent uniquement la bande Ku, c’est-à-dire les fréquences qui servent habituellement à la télévision par satellite. A l’avenir, la constellation passera aussi par la bande Ka qui a l’avantage de pouvoir être réceptionnée avec de toutes petites paraboles de 20 cm de diamètre. Les communications doivent passer par un protocole plus simple que l’IPv6 et seront chiffrées sur toute la ligne.
Les méga-constellations de satellites ne fourniront pas un débit internet important… avant l’arrivée des lasers
Enfin ces satellites doivent être capables de communiquer entre eux pour répercuter un signal d’un bout à l’autre de la planète. Ils doivent donc utiliser des stations au sol pour réceptionner un signal, le faire voyager par les canaux de l’internet classique jusqu’à une autre station proche de l’utilisateur final. Le signal fera alors un nouvel aller-retour par l’espace avant d’atteindre la parabole cible. Les infrastructures et la latence devraient donc être énormes.
A terme, les communications inter-satellites doivent donc être effectuées par laser. Les satellites communiqueront directement en très grand débit sans passer par le sol ce qui améliorera beaucoup les problèmes de latence, mais il il faudra toujours des stations terrestres pour faire le lien avec l’internet classique.
La propulsion des satellites de la constellation Starlink utilise des moteurs à effet Hall au krypton, une alternative plus économique que le xénon. SpaceX affirme que ces satellites seront dotés d’un système d’évitement automatique des débris spatiaux.
Débris spatiaux, observation du ciel… Les méga-constellations de satellites suscitent de nombreuses inquiétudes
Maintenant que Starlink et OneWeb ont lancé leurs premiers satellites, il faut étudier les conséquences de tels projets. Placer 18 000 satellites en orbite risque d’alerter ceux qui s’inquiètent déjà de la pollution spatiale. Evidemment, on pense d’abord aux risques de collision et à un éventuel syndrome de Kessler. Il suffit d’un premier impact pour détruire un satellite et créer un grand nombre de débris spatiaux qui deviennent alors un danger pour les satellites restants. Une réaction en chaîne risque alors de se mettre en place. On a déjà assisté à quelques accidents avec les satellites aujourd’hui en orbite. En doublant ou triplant leur nombre, on multiplie les risques de collision.
Pour répondre à ce problème, des standards internationaux ont été mis en place. Les satellites en fin de vie doivent se désorbiter en moins de 25 ans. Etant donné leur nombre, il est crucial que ceux de Starlink et OneWeb respectent ces directives. Heureusement, les deux entreprises ont fait des annonces dans ce sens. Les satellites arrivés en fin de vie doivent utiliser ce qui leur reste d’ergols pour abaisser leur orbite et se consumer dans 226 l’atmosphère. Idéalement, ils seront détruits moins d’un an après la fin de leur mission.
On peut tout de même imaginer de nombreux scénarios qui pourraient compliquer les choses. Que se passera-t-il par exemple si la propulsion du vaisseau spatial est en panne ? Sur 18 000 satellites cela risque de se produire plus d’une fois.
Un autre problème n’avait pas forcément été prévu par ces entreprises, la pollution lumineuse. Les 60 premiers satellites de Starlink sont très visibles dans le ciel. L’Union Astronomique Internationale a exprimé son inquiétude sur l’impact que vont avoir ces méga-constellations de satellites pour les observations astronomiques faites depuis le sol. Imaginez des dizaines de milliers de petits points lumineux se déplaçant dans le ciel. On sait par ailleurs que certains oiseaux migrateurs, des grenouilles ou même des phoques utilisent les étoiles pour s’orienter.
La pollution radio est un autre sujet d’inquiétude pour les astronomes. Des milliers de satellites vont échanger avec des millions ou des milliards d’antennes au sol en continu. Les radiotélescopes ont déjà des difficultés à ignorer toutes les communications humaines, comment continuer à étudier les phénomènes cosmiques au milieu de tout ce bruit ? Starlink semble prêt à faire le nécessaire pour résoudre le problème. Elon Musk a annoncé sur Twitter que ses équipes allaient tenter de réduire l’albédo des satellites de la constellation, mais ce n’est pas sûr que ce soit suffisant.
Les méga-constellations de satellites fourniront un accès à un internet à plusieurs milliards de personnes
L’internet par satellite peut générer des inquiétudes, mais c’est aussi une formidable source d’espoir. Il y a encore de très fortes inégalités dans l’accès des populations à internet. Apporter la fibre ou même l’ADSL dans des coins reculés du monde nécessite un investissement dans les infrastructures que certains pays ne peuvent tout simplement pas supporter. S’ils parviennent à proposer des prix suffisamment bas, OneWeb et Starlink pourraient permettre à 3 milliards d’êtres humains de se connecter au reste de la planète.
Cela pourrait avoir des conséquences importantes sur certains espaces d’internet. Par exemple, l’internet francophone pourrait s’agrandir de plusieurs millions de nouveaux utilisateurs. Certains pays d’Afrique francophone font en effet partie des moins bien connectés du monde. Dans les pays les plus développés, les campagnes ne sont pas toujours bien desservies. L’internet par satellite pourrait être une méthode d’accès à internet fiable et rapide grâce à Starlink ou OneWeb. L’internet dans les avions deviendra la norme est peut-être qu’il sera possible de souscrire des forfaits mondiaux, qui fonctionnent aussi bien en Europe qu’en Amérique du Sud ou en plein milieu du Pacifique.
Les constellations de satellites Starlink et OneWeb pourraient être opérationnelles d’ici un an ou deux, mais il faudra probablement une décennie pour qu’elles montent en puissance. Amazon, Facebook et d’autres entreprises viendront peut-être proposer des services alternatifs. Ce service fera plus que jamais rentrer l’espace dans le quotidien des gens.
Image by Thales Alenia Space
Sources