Des projets de colonisation martienne sont imaginés depuis longtemps
Très tôt dans l’histoire du vol spatial, la planète Mars a été le centre de toutes les attentions. Dès 1948 Wernher von Braun, l’un des pionniers de l’astronautique moderne, réfléchit à un programme de missions vers la planète rouge. Avant même le premier vol spatial, son ouvrage intitulé Das MarsProjekt prévoit l’envoi d’une équipe de 70 scientifiques répartis dans une flotte de dix vaisseaux spatiaux. Il calcule les trajectoires possibles et les différentes mises à feu des moteurs qui seraient nécessaires pour ce voyage, d’après les expéditions d’exploration de l’antarctique de l’époque.
Une telle mission vers Mars nous paraît presque grotesque aujourd’hui car forcément Wernher von Braun ne pouvait pas anticiper que les immenses progrès de la robotique allaient nous permettre d’explorer la planète Mars à moindre coût. Aujourd’hui, on en sait bien plus sur Mars mais les missions ambitieuses qu’avait imaginé l’ingénieur allemand n’ont jamais vu le jour. Pourtant l’idée revient régulièrement ces derniers temps. SpaceX, une entreprise privée, projette de rendre possible la colonisation martienne. Le voyage habité vers Mars est pourtant une très complexe. Même la NASA ne semble pas y croire. Si l’humanité se décide un jour à quitter durablement son berceau, Mars représente-t-elle forcément la meilleure des destinations ?
Le transport, premier défi de la colonisation de Mars
Admettons que SpaceX réussit à envoyer des hommes par dizaines vers Mars dans un futur pas trop lointain. La toute première problématique de la colonisation martienne est le transport. La solution de l’entreprise américaine repose sur de très grands vaisseaux spatiaux réutilisables, les BFR, qui feraient le voyage vers la planète rouge en masse à chaque fenêtre de tir, approximativement tous les deux ans. Ces vaisseaux fonctionneraient sans nécessiter de rupture technologique : la BFR est une fusée réutilisable à propulsion chimique, ce qui se rapproche un peu de la vision de Wernher von Braun.
Le programme de mission de SpaceX fait certains choix pour rendre le trajet possible, parmi lesquelles la production locale de carburant. Ce détail rend le projet de SpaceX très différent de ce qu’ont pu être les missions Apollo ou la plupart des projets d’exploration martienne. La colonisation martienne n’est pas seulement une option permise par le voyage, elle devient nécessaire à celui-ci. Sans le déploiement d’infrastructures de production locale, pas de retour possible sur Terre.
Mars pourrait être la station-service vers la ceinture d’astéroïdes
Mais on fait face à un problème : si on va sur Mars pour établir une colonie et qu’on établit une colonie pour s’assurer qu’on puisse repartir, quels avantages concrets y aurait-il pour l’humanité d’aller s’établir sur une autre planète, et pourquoi Mars en particulier ? Elon Musk, le fondateur de SpaceX, semble principalement préoccupé par la sauvegarde de l’espèce humaine, en s’assurant que l’humanité prospère sur au moins deux planètes. C’est en quelque sorte une garantie contre les risques d’extinction : si une de ces deux planètes subit une catastrophe majeure, l’autre peut subsister. Mais il faut une opportunité économique pour que la colonisation de Mars soit plus qu’un fantasme.
De ce côté-là, si on regarde la géographie du système solaire, Mars a peut être des arguments pour un industriel du futur en quête de précieuses matières premières. La ceinture principale d’astéroïdes est très intéressante : elle abrite quantité de métaux et de matériaux précieux facilement accessibles. Or Mars se trouve exactement entre la ceinture d’astéroïdes et la Terre. Un peu à la manière des villes qui se développaient le long des voies de chemin de fer, Mars pourrait donc devenir une étape incontournable entre les terriens et leur nouvel eldorado. Grâce à sa gravité faible, elle pourrait par exemple servir de base de départ pour des hommes ou des robots partis exploiter la ceinture d’astéroïdes. Ce sont bien évidemment des perspectives à très long terme.
Les défis qui attendent les colons martiens
Si SpaceX parvient à réaliser ses ambitions, ses premiers passagers auront des préoccupations bien plus immédiates. Comme tous les objets du système solaire en dehors de la Terre, Mars est atrocement hostile à la vie humaine. Sa température moyenne oscille autour de -60 degrés Celsius et sa pression atmosphérique faible interdit la vie hors d’un milieu contrôlé. Cette atmosphère est d’ailleurs tellement concentrée en CO2 que la respirer empoisonnerait un humain, et même des plantes. Mars ne possède pas de magnétosphère, ce sont donc d’énormes radiations qui s’abattent sur sa surface. Et on a absolument aucune idée de ce que sa faible gravité engendrerait à long terme sur des organismes humains.
Si malgré cela l’aventure vous tente, voici quelques bonnes nouvelles : une journée martienne dure exactement 24 heures 39 minutes et 35 secondes. Votre cycle de sommeil ne devrait donc pas être trop perturbé. Il y a de l’eau sur Mars, ainsi que tous les éléments chimiques nécessaires à la vie. On peut aussi penser que Mars a accueilli la vie dans un passé lointain. Et une atmosphère et une gravité faibles restent mieux que pas d’atmosphère et pas de gravité du tout.
Avant le départ pour Mars, de nombreux problèmes technologiques à résoudre
On en sait encore peu sur les plans de colonisation de SpaceX. L’entreprise planifie un premier vol robotisé en 2022 et un premier vol habité en 2024, mais les dates annoncées par Elon Musk sont rarement respectées. L’objectif du vol robotisé est de s’assurer que la production locale d’ergols est possible. On devrait avoir un début de réponse avec le rover Mars 2020 de la NASA qui embarque une expérience appelée Moxie (Mars Oxygen In-Situ Resource Utilization Experiment). Cette expérience doit produire de l’oxygène à partir de l’atmosphère martienne. SpaceX compte sur les ressources en eau et en dioxyde de carbone de la planète rouge pour produire de l’oxygène et du méthane, grâce à un savant mélange d’électrolyse et de réaction de Sabatier.
Pour alimenter tout cela, il faut beaucoup d’énergie, ce qui est une autre problématique martienne : Mars est assez loin du soleil pour faire chuter les rendements des panneaux solaires. Elle est en plus parcouru régulièrement par d’immenses tempêtes de poussière qui n’améliorent pas la situation. Idéalement, l’énergie nucléaire fournirait la meilleure alternative mais on connaît la préférence de SpaceX pour les solutions déjà bien éprouvées. Or pour produire et stocker les milliers de tonnes d’ergols nécessaires au voyage retour, il faudrait poser un très grand nombre des panneaux solaires. Il faut aussi alimenter les systèmes de survie des passagers de la mission. Que les premiers colons martiens viennent sur Mars par un vaisseau spatial SpaceX ou par une autre entreprise, la production locale d’énergie est un des principaux problèmes.
Les tubes de lave de Mars pourraient abriter les colons martiens
L’environnement de Mars est hostile mais offre tout de même quelques opportunités. Par exemple, le problème des radiations pourrait être résolu assez simplement en allant s’installer sous la surface de Mars. Pour cela pas besoin de coûteux travaux de forage : le volcanisme de la planète rouge s’est déjà chargé du travail. On pense que Mars accueille en effet des tubes de lave, de grands couloirs souterrains et creux formés par des coulées de lave dûes à la faible gravité de la planète. Ces tuyaux de lave pourraient être bien plus grands que ceux que l’on trouve sur la Terre, ce qui permettrait d’y installer de vastes habitats à l’abri des radiations et des micro-météorites. La température y serait aussi plus facile à contrôler.
Dans un objectif de colonisation, il faudrait permettre la production locale d’un maximum d’éléments : les ergols, mais également la nourriture par exemple, et pourquoi pas les matériaux de construction. Produire de la nourriture sur Mars n’est pas évident : il faudrait fertiliser le sol toxique de la planète et faire pousser graines et plantes dans une atmosphère contrôlée, et avec un apport suffisant de lumière. Mars pourrait cependant être un peu plus fertile qu’on ne le croit : une expérience menée par le centre spatial allemand a permis d’observer que du lichen collecté en antarctique était capable de survivre dans un environnement martien.
La colonisation de Mars sera longue à rentabiliser mais pourrait être accélérée
Si des colons martiens parviennent à assurer leur survie de façon pérenne, et même à prendre une certaine indépendance par rapport à la Terre, ils pourront alors mettre en place une économie productive. Mais l’investissement initial pour arriver à ce résultat paraît gigantesque par rapport au retour sur investissement possible. C’est un projet qui mettrait des générations avant de devenir rentable, ce qui n’est pas le genre de perspectives qui plaît aux entreprises privées.
Une façon de faciliter cela pourrait être de terra-former en partie la planète, c’est à dire non pas de la rendre complètement identique à la Terre mais de modifier certaines de ses paramètres spécifiques comme l’absence de champ magnétique. En février 2017, Jim Green, scientifique à la NASA, a imaginé un concept : un dispositif magnétique de très forte puissance installé au point de Lagrange L1 du système soleil-Mars engloberait Mars dans sa magnétosphère. Ainsi protégé du vent solaire, l’atmosphère de Mars s’épaissirait et sa température grimperait, peut-être même jusqu’à rendre possible l’eau liquide en surface.
Ce qui est sûr, c’est que la planète rouge va continuer à nous faire rêver pendant encore longtemps. Il est très difficile de prévoir quel avenir l’humanité accordera à Mars : entre d’un côté les initiatives privées et de l’autre côté les plans changeants des agences spatiales, il paraît impossible de savoir qui mettra en premier le pied sur la planète rouge et surtout à quelle date. Ce qui est certain, c’est que la colonisation martienne représentera un tournant majeur dans l’histoire de l’humanité.
Images by
– SpaceX
– Chesley Bonestell
– NASA/Clouds AO/SEArch [Public domain], via Wikimedia Commons
– NASA Ames Research Center (NASA Ames featured images) [Public domain], via Wikimedia Commons
– Daein Ballard [GFDL (http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html) or CC-BY-SA-3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/)], via Wikimedia Commons
Sources