L’accès à l’espace coûte très cher et c’est une des principales raisons qui nous retient d’explorer davantage le système solaire. Avec l’arrivée de lanceurs partiellement réutilisables, cela va peut être commencer à bouger. On reste cependant très loin du rêve d’un véhicule spatial aussi facile à utiliser qu’une voiture ou qu’un avion. Cela sous-entendrait un véhicule entièrement réutilisable et surtout capable d’atteindre l’orbite terrestre sans larguer ses étages.
Les fusées à plusieurs étages ont prouvé leur efficacité depuis le début de l’ère spatiale
Si toutes les fusées ont une conception en étages, il y a une bonne raison : la masse morte est l’ennemi juré de l’accès à l’orbite. Pour avoir une chance de se satelliser, il faut que l’immense majorité de la masse d’un lanceur soit constitué de ses ergols. En larguant de la masse morte au fur et à mesure de l’ascension, on s’assure de préserver ce ratio et donc les performances de la fusée. Il y a plusieurs façons d’y parvenir. On peut empiler des étages, chacun équipé de ses propres moteurs, les uns au-dessus des autres ou même les uns à côté des autres.
Avec une architecture qui utilise des boosters, on obtient ainsi des fusées à deux ou trois étages qui peuvent en plus utiliser plusieurs boosters largables. Cela fonctionne plutôt bien même si forcément les possibilités de réutilisation de tous les éléments sont limités. Cette conception en étages s’est très vite imposée dans les premiers lanceurs de l’ère spatiale. Certains ingénieurs ont tout de même essayé d’imaginer des lanceurs monoétage (SSTO), ce qui est perçu comme la clé de la réutilisation totale et donc d’un coût réduit de l’accès à l’espace.
Les concepts de lanceurs monoétages (SSTO) font face à de nombreux défis techniques
Si aucune de ces machines ne vole aujourd’hui, c’est que ce type d’architecture impose des contraintes radicales. Comment conserver la masse hors ergols du lanceur au minimum sans rien jeter pendant le voyage ? Comment construire une motorisation efficace à toutes les étapes du vol, avec une forte puissance au décollage et une forte impulsion spécifique une fois sorti de l’atmosphère ? Et surtout comment insérer une charge utile alors que la masse du véhicule pose déjà beaucoup de problèmes ? C’est le casse-tête qu’essaient de résoudre les lanceurs SSTO (Single Stage To Orbit), des véhicules spatiaux aux performances forcément moindre mais qui se rattraperaient par une réutilisation totale. Il y a eu de nombreux concepts d’études sur le sujet et certains de ces projets sont encore en développement.
Dès les années 1960 Philip Bono, ingénieur chez Douglas, imagine une série de concepts de plus en plus évolués. Les premiers concepts trichent un peu en utilisant des réservoirs largables mais très vite il revient avec des architectures réellement SSTO, et surtout réutilisables. Ses premiers travaux mettent en lumière les technologies clés d’une telle architecture. Pour Philip Bono, un lanceur SSTO doit être capable de décoller et d’atterrir verticalement (VTVL = Vertical Takeoff and Vertical Landing). Le lanceur doit donc prendre la forme d’une fusée et non d’un avion car les ailes sont un poids mort trop important. Seul le couple hydrogène-oxygène peut offrir la puissance et l’impulsion spécifique nécessaires pour toutes les phases de vol.
Le démonstrateur SSTO Delta Clipper a été testé dans les années 1990
Les idées de Philip Bono vont faire une impression durable chez McDonnell Douglas qui finira par mettre au point le démonstrateur Delta Clipper au début des années 1990. Ce démonstrateur offre un bon aperçu en taille réduite de ce à quoi ressemblerait ce type d’architecture : la forme conique de la fusée, les moteurs hydrologues, sa poussée modulaire, les matériaux légers et la nécessité d’une protection thermique pour la rentrée atmosphérique.
Le Delta Clipper a fait 12 vols. Il n’a jamais été au-delà de 3 kilomètres mais ce démonstrateur a pu démontrer le fort potentiel de réutilisation de cette architecture avec parfois à peine plus de 24 heures entre deux vols. Le programme Delta Clipper n’a jamais débouché sur un modèle orbital mais certains des ingénieurs qui avaient travaillé sur le projet sont aujourd’hui chez Blue Origin.
Un concept d’avion spatial a été développé par Lockeed Martin avant d’être annulé
Bien que Philip Bono n’y ait pas cru, la piste d’un véhicule ayant la forme d’un avion a séduit d’autres équipes. A peu près en même temps que McDonnell Douglas testait le Delta Clippers, Lockheed Martin commençait à travailler sur le X-33. Il s’agissait d’un démonstrateur chargé de tester toutes les technologies nécessaires à la mise au point d’un véhicule SSTO.
Lockheed Martin et la NASA avaient identifié un ensemble de technologies qui devait pouvoir rendre à tel projet possible : une forme de corps portant pour faciliter la rentrée atmosphérique, un décollage à la verticale et un atterrissage à l’horizontale, des tuyères aerospyke adaptées à toutes les phases du vol, l’utilisation du couple hydrogène et oxygène liquide. Le X-33 devait largement utiliser les matériaux composites pour limiter au maximum le poids hors carburant. Pour la NASA, c’était les clés pour concevoir un véhicule capable de revoler en quelques jours et nécessitant un entretien réduit.
L’agence spatiale américaine voyait dans ce programme la chance de rendre l’accès à l’orbite terrestre dix fois plus sûr et dix fois moins cher. Mais ça ne s’est malheureusement pas aussi bien passé. Le projet a été annulé en 2001 à cause des difficultés techniques. La fabrication des réservoirs en matériaux composites notamment a eu raison des efforts de Lockheed Martin qui n’a pas pu concevoir un prototype aussi léger que nécessaire. C’est dommage quand on sait que les réservoirs cryogéniques en fibre de carbone ont depuis fait d’énormes progrès.
Le modèle SSTO n’intéresse plus beaucoup de monde car d’autres solutions éprouvées existent
De nos jours, on ne peut pas dire que les véhicules SSTO génèrent énormément d’intérêt. La récupération partielle semble monopoliser toutes les attentions depuis que SpaceX a prouvé que le saut technologique n’est pas si important. Il reste tout de même une équipe au Royaume-Uni qui veut toujours y croire en développant l’avion spatial Skylon.
Pour réellement rendre les architectures SSTO intéressantes, il faut peut-être étudier d’autres solutions que la propulsion chimique. Avec l’énergie nucléaire, on peut avoir à la fois une forte puissance et une grande impulsion spécifique. Les moteurs nucléaires ont atteint des stades de développement avancés dès les années 1960. La propulsion nucléaire thermique fournirait une poussée en détendant de l’hydrogène grâce à la chaleur d’un réacteur. Il en résulterait une forte poussée, mais qui reste insuffisante pour propulser un premier étage ou un véhicule SSTO.
Aucun véhicule spatial SSTO ne verra le jour avant longtemps
John Bucknell, ancien ingénieur sur le moteur Raptor de SpaceX, a imaginé en 2015 une façon d’améliorer la puissance et l’efficacité d’un tel système. A la manière de l’avion spatial Skylon, il s’agirait d’aller puiser de l’air dans l’atmosphère pour ajouter un cycle de combustion à la propulsion nucléaire thermique. Dans un tel moteur, l’hydrogène est d’abord détendu en étant chauffé par un réacteur nucléaire puis il est injecté dans une chambre de combustion où elle brûle au contact de l’air atmosphérique. Il en résulte une forte augmentation de la poussée et de l’impulsion spécifique pendant la première phase du vol.
John Bucknell pense qu’un tel système permettrait de produire une fusée SSTO réellement performante, capable d’amener une grande charge utile en orbite basse et au-delà. Il faudrait évidemment qu’elle soit réutilisable pour être économiquement viable car les technologies appliquées sont très complexes. Un tel moteur ne sera probablement pas développé avant longtemps, ni un véhicule orbital SSTO. Les contraintes paraissent encore bien trop importantes par rapport au gain espéré.
Pour le moment, une autre piste est envisagée pour permettre la réutilisation totale des véhicules spatiaux. Le Starship de SpaceX et son booster gardent l’architecture en deux étages mais on essaie de les récupérer séparément. Pas besoin de rupture technologique fondamentale. Si le Starship parvient un jour à se poser sur la Lune ou sur Mars, il faudra par contre qu’elle redécolle pour revenir se poser sur Terre, à la manière d’un vrai véhicule SSTO.
Images by A. Mann / Glenn Research Center [Public domain] / NASA/MSFC [Public domain]
Sources